Opticiens créateurs

Plusieurs opticiens, au fil de leur pratique, ont décidé de faire le saut du côté de la création. Ce changement de cap ou cet ajout de compétence en complémentarité de leur métier a su révéler un regard neuf et de la fraîcheur dans le secteur de la lunetterie en France. Nous vous présentons quelques-uns des opticiens artisans lunetiers qui combinent un savoir-faire sans équivoque et un esprit entrepreneurial futé.

Peu importe la motivation, elle apparait personnelle, comme le goût de s’exprimer ou le désir d’offrir plus encore à ses clients sans contraintes. Il y a cette envie de répondre à la demande plus pressante de la part de la clientèle d’obtenir des lunettes uniques. Voici, six opticiens français qui créent et pratiquent leur métier autrement.

L’artiste lunetière

Carla W. Sfeir, opticienne et une artiste lunetière. Elle dessinait des prototypes de modèles de lunettes bien avant de les fabriquer. Dans sa boutique-atelier dans l’Écusson à Montpellier, elle y reçoit ses clients et fabrique des lunettes qui composent 85 pour cent de l’inventaire de sa boutique spécialisée dans les lunettes de créateurs. Sa collection COESXIST EYEWEAR est faite de matières naturelles douces et anallergiques, telles que l’acétate de cellulose atypique, la fibre de bois et la corne sur commande.

Coexist

« Pour moi fabriquer des lunettes est devenu une évidence. Mon appréhension du début a vite été calmée le jour où j’ai rencontré Alain Duperray, chef d’atelier pour la fabrication et le démarrage des plus grands noms de la lunetterie comme Mikli, l.a Eyeworks, Anne et Valentin. Cet homme aussi passionné que moi par la conception m’a encouragée. La lunette demeure pour moi un outil d’expression personnalisée et doit ressembler à celui qui la porte. C’est pour cela que j’ai décidé d’ouvrir mon propre atelier en 2004.

Les sources principales de mon inspiration sont les visages et la personnalité des clients de ma boutique d’optique. À ceci, s’ajoute le vivier d’idées de techniques poussées émanant de ma personnalité, de ma réflexion et de mes déplacements en plus de mon intérêt pour le design de meuble de textile et d’objets. Le fait que mes lunettes ne soient pas industrialisées mécaniquement leur confère un toucher, une lumière, un équilibre spécifique. Elles sont des objets sculptés, utiles au bien-être du porteur.

Mon métier d’opticienne m’apporte une mise en avant du savoir-faire professionnel, une identification dans la différence et l’unicité et, une réalité non négligeable, une réduction des stocks achetés dormants. »

L’opticienne lunetière présente sa collection depuis 2016 dans les salons internationaux. www.carlaoptique.com/

L’inventivité de la matière, le design et la fierté bretonne en prime

Jean-Philippe Douis, Nantais pure algue (pour ne pas dire pure laine) connaît parfaitement ce que signifie la notion d’identité en Bretagne. En 2010, lorsqu’il a créé son magasin Naoned qui signifie Nantes en breton dans le quartier de Talensac,  l’opticien voulait répondre au mieux aux besoins de ses clients. Ainsi est née la marque qui est d’ailleurs fabriquée entièrement dans la région nantaise.

Mignon

Lunetier designer passionné, Jean-Philippe Douis a choisi de rêver ses montures avant de les dessiner et de les faire fabriquer à la main sur le sol nantais. « J’ai appris à fabriquer des lunettes en me trompant! Il n’y a pas d’école pour apprendre à dessiner des lunettes. Ce sont les ateliers de fabrication qui m’ont transmis beaucoup de leurs connaissances. Les matériaux que je travaille sont le métal, l’acétate de cellulose et un bioplastique à base d’algues. »

Ce bioplastique à base d’algues biodégradables ramassées en Bretagne a été mis au point grâce à la collaboration de l’entreprise Algopak, de Saint-Malo spécialisée dans la «chimie bleue.»

Pour ce lunetier hors normes, le métier d’opticien « est avant tout au service de son porteur. On doit savoir écouter, comprendre les besoins et les traduire en un seul outil qui va partager son quotidien et l’accompagner dans toutes les sphères de sa vie. L’opticien est en quelque sorte un synthétiseur technique, esthétique et social. » www.naonedeyewear.bzh/

Créateur de pièce unique toujours en quête d’exploration –Xavier Christin

Xavier Christin est arrivé dans le métier de la lunetterie en passant par celui de la micromécanique optique. « Je suis “opticien”, car je suis celui qui fabrique les optiques. Au fil des années, je suis devenu opticien-lunetier. Peu à peu j’ai entrepris en autodidacte de fabriquer des lunettes.

En 1994, Jacques Aubert[i] a vu mon travail et il m’a encouragé à concourir pour obtenir le titre de meilleur ouvrier de France. En 1997, j’ai reçu ce titre ainsi que le devoir d’exiger le travail bien fait et le droit de porter la médaille. La micromécanique est la base de ma formation: utiliser toutes les machines généralistes, il suffisait de m’adapter à la production des lunettes, puis de compléter mes connaissances par des échanges avec des industriels, collègues Meilleurs Ouvriers de France (M.O.F).»

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La collection de Xavier Christin se constitue de pièces uniques fabriquées comme il aime l’affirmer pour des personnes uniques. « Je mets ce qu’il me semble de plus esthétique et de plus représentatif de ce que souhaite le porteur. Je travaille tous les matériaux : corne, bois, fibres végétales, acétate, bambou, titane ou acier inoxydable. Mes sources d’inspiration demeurent l’écoute des clients ainsi que mes délires aussi bien techniques qu’esthétiques. Je travaille actuellement sur une lunette où j’assemble de l’ébène, de la corne de buffle blond et du titane. Nous nous inspirons tous de quelque chose! J’aime bien Courrège des années 1965. De plus, l’art décoratif et l’art nouveau, deux styles, très peu utilisés en lunetterie, seront mes prochains projets. Je me différencie de mes confrères lunetiers par la folie des matériaux utilisés, les assemblages innovant sans utiliser la facilité!

Pour moi, le métier d’opticien-lunetier est un beau métier qui se divise en trois parties : esthétique, technique et paramédical. Il n’y a pas d’autre métier avec ces trois composantes. Malheureusement en France, ce métier est devenu une activité commerciale, la vraie technique a disparu même celle de l’enseignement. L’optométrie n’a pas sa place en France comme vous au Canada, les mutuelles (les assurances) sont les donneurs d’ordres, l’opticien-lunetier devient indirectement l’employé des mutuelles. »

Selon Xavier Christin qui est dans le métier depuis plus de quarante ans, « l’avantage de jumeler le métier d’opticien à celui de la lunetterie est de permettre de répondre directement à une problématique technique pour les personnes n’ayant pas une morphologie standard ou à un désir d’unicité esthétique. »  www.xavier-christin-lunetier.com

Romain Perrot, le lunetier du Vercors

« À la base je suis opticien, lorsque j’ai débuté,  j’ai eu la chance d’avoir un magasin tout neuf à gérer J’ai acquis de l’expérience pendant cinq ans et j’ai commencé à m’ennuyer. Je me suis occupé en coupant, limant, façonnant des morceaux d’acétate. D’abord un, puis deux et j’ai cherché à me perfectionner. D’abord avec internet, puis avec d’autres lunetiers. Grâce à mon employeur de l’époque, j’ai pu suivre des formations dispensées par les M.O.F. Ce fut pour moi une révélation.

Réalisation sur-mesure

Ma collection est encore jeune et j’espère l’élaborer à court terme. Pour le moment, toutes les montures sont en acétate de cellulose, avec des charnières à rivets. Bientôt, j’espère pouvoir proposer du combiné en alliant le métal à l’acétate. Je m’obstine à créer des formes différentes, à proposer de la couleur et de l’originalité. Les lunettes que je fabrique ont une identité forte et unique. Je passe énormément de temps à choisir les plaques, les marier avec les formes pour obtenir le résultat voulu. Je travaille à l’ancienne. Mes machines ont parfois deux fois mon âge, je les entretiens moi-même. Je ne fais pas de vente sur internet, car je veux que le porteur puisse bénéficier du conseil d’un professionnel.

Ma vision du métier d’opticien allie la technicité et le savoir-faire. La création de montures permet un autre échange avec le porteur, un autre regard. Le client reconnait le travail manuel et l’artisan qui l’a façonné. Je pense que c’est un vrai plus. » www.lunettesvercors.fr

C Lunettes – Cindy Crasson

Des lunettes fabriquées artisanalement par une opticienne française installée à Montréal depuis presque trois ans. Cindy Crasson, a créé C Lunettes. Elle débute dans sa petite entreprise et propose un vrai service personnalisé de fabrication sur mesure pour ceux qui veulent des lunettes vraiment uniques. « Je n’ai pas de formation en lunetterie, cependant lorsque j’étudiais pour devenir opticienne à l’école de Bures-sur-Yvette, j’ai eu la chance d’avoir un professeur en façonnage qui partait à la retraite. Il a décidé de monter un projet de fabrication d’une lunette de sport avec Gilles Demetz, une référence en lunetterie de sport. J’ai adoré l’expérience. Ensuite, je suis partie travailler en Australie, pour voir une autre façon de faire de la pratique du métier d’opticien. La passion du dessin et de la création m’a rattrapée plus rapidement que j’aurais pu l’imaginer. »

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La création d’une paire de lunettes de A à Z prend environ sept heures, selon l’entrepreneure. Cindy Crasson utilise l’acétate de cellulose et se fournit en matière première chez Jac France et Mazzuchelli. « Les matières premières viennent d’Europe et d’Italie. Il n’y a pas de fournisseurs en Amérique et les plaques de Chine ne sont pas de qualité suffisante. La cellulose se travaille bien. Réchauffée, elle se ramollit, se superpose et permet des collages et de créer à l’infini. »

Les modèles que Cindy Crasson a créés jusqu’à maintenant sont un clin d’œil aux années soixante et soixante-dix. Ils sont disponibles chez Descary & Descary Opticiens et Optométristes à Montréal et certains artistes de la télévision tels que Michel Barette, Anaïs Favron et Isabelle Ménard ont été séduits par ses modèles. Ses projets d’avenir seraient d’ouvrir une boutique atelier où les gens pourraient y fabriquer leurs lunettes sous sa supervision. Facebook.com/c.lunettes

Désir d’y voir – Damien Miglietta

Le concept Désir d’y voir c’est le retour à l’aspect traditionnel du métier d’opticien : artisan lunetier. Un magasin haut de gamme, qui propose plusieurs services inédits, comme la restauration ou le recyclage de montures, mais aussi des services axés sur la création comme l’ajout de touches d’acétate coloré. Damien Miglietta est opticien créateur et lauréat du prix du meilleur artisan à Bordeaux. « Je travaille l’acétate de cellulose. Je me suis mis à faire des lunettes dans le carbone des crosses de hockey sur glace en faisant la face dans la palette de la crosse et les branches dans le manche en faisant attention à conserver le nom du joueur à qui appartient la crosse cassée. Je compte fabriquer des lunettes avec des planches de skate cassées.

Désir d’y voir

Nous avons mis au cœur de nos boutiques, l’atelier création où le client peut assister et participer avec nous à la création de lunettes. Nous proposons à chaque client de venir faire la taille et le montage de leur équipement afin de les rendre acteurs et non spectateur dans leur choix. Nous organisons également des ateliers pour enfants les samedis matin pour les initier au métier d’artisan lunetier et pourquoi ne pas susciter des vocations par la suite? Ils repartent tous avec leur monture et des étoiles dans les yeux.

Nous sommes maintenant franchiseurs et nous nous développons depuis plus d’un an dans toute la France avec l’ouverture d’un cinquième magasin. Nous prévoyons une dizaine d’ouvertures d’ici fin 2018. Nous avons également des demandes ailleurs en Europe et nous souhaitons nous établir en Amérique du Nord afin d’exporter ce côté “Artisan français”. Nous formons personnellement tous nos franchisés à la création et aux services proposés. Le développement à l’international est notre priorité. » www.desirdyvoir.com

La lunetterie semble un métier neuf, presque une jeune entreprise. Il est vrai que ce secteur a à peine 150 ans, alors que l’industrie du textile a plusieurs centaines d’années. Peu de pays en partagent autant l’expertise que la France, alors que celle du vêtement est planétaire. En réaction, sans doute, aux mutuelles qui obligent les opticiens à vendre des montures et des verres selon les barèmes des assurances françaises, plusieurs opticiens ont décidé de sortir des sentiers battus pour proposer une façon de faire créative et personnalisée. Cette proposition enrichie des services de l’opticien gagnera-t-elle le Québec?

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[i] Jacques Aubert, Meilleur ouvrier de France, Lauréat 1986.