Exercer l’œil pour améliorer la basse vision… ça marche!

OculairePar Anne-Marie Joncas

De plus en plus de cabinets d’optique sont appelés à accompagner des patients dont la vision est sérieusement handicapée. Des malformations, blessures, maladies ou le simple vieillissement peuvent entraîner une baisse gênante de l’acuité visuelle. À elle seule, la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) affecte un nombre grandissant d’aînés. Rappelons que la DMLA est la principale cause de perte de vision chez les personnes de plus de 50 ans. Chaque année, plus de 75 000 Canadiens reçoivent un diagnostic de DMLA et ce nombre est susceptible de doubler d’ici 25 ans. Divers traitements sont offerts pour ralentir l’évolution de la maladie, mais les dommages causés sont irréversibles. Les patients doivent donc tout au mieux composer avec une vision entachée.

L’EVE – la gym pour mieux y voir

Marie-Chantale_Wanet-Defalque« La technique qui fait toute la différence pour ces gens consiste en une gymnastique visuelle appelée « Évaluation et entraînement à la vision excentrique ou EVE », nous apprend Marie-Chantal Wanet-Defalque, chercheuse à l’Université de Montréal et responsable des recherches à l’Institut Nazareth et Louis-Braille (INLB). Pour compenser la perte de champ visuel central qui caractérise la DMLA, la personne atteinte peut apprendre à utiliser une partie intacte de sa rétine, située hors du scotome central. L’EVE est une méthode de réadaptation visuelle conçue spécifiquement à cet effet. L’individu apprend à optimiser sa perception de l’environnement en localisant un point excentré de sa rétine, lequel lui permet de fixer son environnement le plus clairement possible. Ce point de fixation excentré est nommé « aire de fixation préférentielle » ou en anglais « Preferred Retinal Locus » (PRL). Une fois le PRL localisé, la personne apprend à l’utiliser avec des aides optiques et non optiques.

Qui dit méthode pense recherche méthodique

« C’est pour maximiser l’usage de la vision résiduelle et la transmission professionnelle de la technique que l’EVE a été revisitée de fond en comble par notre équipe dans le cadre d’une vaste étude », précise Marie-Chantal Wanet-Defalque. En effet, la recension des écrits sur les interventions en vision excentrique menée par l’INLB a dénoté qu’il n’existait aucun protocole standardisé et francophone. Plus encore, aucun protocole ne visait simultanément les besoins d’intervention pour la lecture soutenue et les activités instrumentales de la vie quotidienne – par exemple les tâches ménagères. Ces lacunes sont désormais choses du passé, puisque le Guide des pratiques cliniques en évaluation et en entraînement à la vision excentrique, résultant de l’analyse, des essais et correctifs de l’INLB, propose un système clé en main. Il permet aux professionnels en réadaptation et en déficience visuelle d’y voir plus clair et d’agir plus efficacement.

Le programme baptisé VisExc-INLB, comporte un protocole d’évaluation et d’intervention systématique et détaillé, incluant les instructions verbales à donner au patient, les formulaires d’évaluation et le matériel d’entraînement et de pratique. Le protocole concernant le patient s’articule en deux parties. Le volet de base a pour objectif l’amélioration du fonctionnement des activités quotidiennes par l’optimisation de la vision excentrique. Le volet avancé est axé sur la lecture continue en fixation excentrique. Généralement, de trois à cinq sessions de une heure et demie sont nécessaires pour acquérir les habiletés visées par le programme de base. Pour les participants souhaitant améliorer leurs performances en lecture, le volet avancé nécessite de deux à quatre sessions de même durée.

« Une fois formé, le professionnel aide dans un premier temps le patient à identifier sa meilleure zone de vision, car cette zone est différente pour chacun, explique Marie-Chantal Wanet-Defalque. Puis, le professionnel encourage le patient à gagner du contrôle sur la position optimale du regard au moyen d’exercices ludiques. Ainsi, les jeux de cartes sont mis à contribution pour apprendre à fixer avec précision. Le patient étudie aussi la manière de faire défiler avec ses mains des textes simples, une stratégie qui lui permet de maintenir le regard sur sa zone optimale; ensuite, il est prêt à utiliser ses aides optiques. Dans le cadre de l’étude rétrospective que nous avons faite sur l’EVE quant à ses caractéristiques et ses effets, les patients nous ont parfois dit qu’ils regardaient déjà instinctivement de façon excentrique, mais que l’enseignement leur avait donné une meilleure compréhension et un meilleur contrôle de la technique. Pour tous les participants, notre étude a révélé une amélioration des activités instrumentales de la vie quotidienne; on pense ici à la gestion des comptes bancaires, aux déplacements, à la lecture de l’afficheur téléphonique. Pour les sujets intéressés, l’étude a indiqué en plus une amélioration de la vitesse de lecture. La surprise, pour nous, chercheurs, a été de constater que la méthode profite non seulement aux individus atteints d’une déficience visuelle sévère, mais aussi à l’ensemble des personnes présentant une basse vision. »

L’étude indique en outre que les personnes habitant dans une maison ou un appartement ont été plus nombreuses à poursuivre vers le programme avancé que celles vivant en résidence pour personnes âgées. De plus, c’est seulement passé la barre des 86 ans que les participants sont moins intéressés par le volet de lecture, 37 % d’entre eux s’y engageant comparativement à 49 % pour les 85 ans et moins. Ces données devraient donc inciter le professionnel de la vue à proposer avec enthousiasme une intervention en réadaptation visuelle à tous les membres de sa clientèle, quel que soit leur âge.

Partis pour la gloire!

Depuis le lancement du programme en 2009, près de 50 intervenants ont été formés et exercent à l’INLB ou dans l’un des 13 centres offrant des services de réadaptation en déficience visuelle répartis aux quatre coins du Québec. Des centaines de personnes dont les activités étaient limitées par une basse vision ont déjà profité de l’EVE. Enfin, le programme VisExc-INLB a valu des honneurs à l’institution qui lui a donné le jour! L’INLB est en effet depuis peu le premier établissement québécois du réseau de la santé et des services sociaux à réussir la phase 2 de la certification Milieu Novateur du Conseil québécois d’agrément pour le projet innovant VisExc-INLB. Avec l’obtention de cette bonification, l’INLB démontre une fois de plus son dynamisme et l’importance d’alliances fructueuses entre la recherche et la pratique.

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OeilVisExc-INLB – Un programme éprouvé

  • Implanté à l’INLB en 2009 et éprouvé auprès de plusieurs centaines d’usagers, VisExc-INLB permet d’accroître l’autonomie des usagers dans leurs activités quotidiennes et leur participation dans les activités sociales, de loisirs et de travail. Il en résulte une amélioration significative de leur qualité de vie.
  • Un peu plus de la moitié des usagers de l’INLB cessent leur entraînement après avoir complété le programme de base, leurs objectifs étant atteints pour la plupart, tandis que les autres poursuivent vers l’entraînement avancé en lecture.
  • Ce programme a fait l’objet d’une recherche évaluative. Les résultats montrent que tous les usagers ayant une perte de vision centrale, qu’ils aient une déficience visuelle modérée, sévère ou profonde, peuvent en bénéficier. Il s’adresse autant aux jeunes adultes qu’aux personnes très âgées.
  • Basé sur du matériel non informatique, VisExc-INLB peut facilement être réalisé à domicile.