VOSH Santa-Cruz, L’invitation au voyage

VOSH Santa-Cruz, L’invitation au voyage
ParIsabelle Boin-Serveau

À l’heure où il est de bon ton de s’indigner, VOSH Santa-Cruz[i] (Volunteer Optometric Services to Humanity) réunit depuis une dizaine d’années des « indignés » actifs qui s’engagent bénévolement dans des missions humanitaires. À la tête de ce qui fut les Voluntarios de Santa-Cruz figurent Pierre Labine, membre de la Congrégation de Sainte-Croix[ii], qui sait faire toute une différence auprès de populations les plus défavorisées de la planète.

Le père Pierre Labine me reçoit à son domicile de l’arrondissement de Saint Laurent en compagnie de Claude Chagnon, optométriste, missionnaire actif de la première heure et président du conseil d’administration.

Un homme et sa mission

Franco-ontarien de Sault-Sainte-Marie, Pierre Labine voit le jour dans une famille de commerçants : « Mon père était boucher, j’ai travaillé avec lui tout en suivant mes cours à la high school. » À 19 ans, il occupe la fonction de gérant de magasin et, parallèlement à ses études, trouve le temps et l’énergie de construire sa maison.

Ce n’est que trois ans plus tard, en 1977, à l’âge de 22 ans, que Pierre Labine entame les démarches pour rejoindre une communauté religieuse. « Je suis entré chez les Pères de Sainte-Croix parce que le curé de ma paroisse en faisait partie. Il rentrait de mission en Inde après en avoir été expulsé par le gouvernement », explique celui dont la vocation aura été éveillée autant par les récits de missionnaires que par son éducation essentiellement chrétienne.

« Lorsque j’ai voulu me joindre aux Jésuites, on m’a refusé parce que je venais de l’Ontario. On jugeait que je ne pourrais pas faire mes études supérieures en français. Mon curé m’a alors référé à sa communauté de Sainte-Croix », explique Pierre Labine. C’est ainsi qu’il s’installera à l’Oratoire Saint Joseph de Montréal avec les représentants de la Congrégation et suivra ses études en théologie à l’Université de Montréal. Après quelques années de stage dans plusieurs paroisses, il est ordonné prêtre en 1985. Il se destine vers l’enseignement et sera l’aumônier d’une école secondaire ontarienne durant 12 années avant de retourner à l’Oratoire pour une nouvelle expérience de prêtrise.

« Je n’aimais pas vraiment ce type de pastorale et c’est par hasard qu’un groupe de mes anciens élèves ontariens, devenus optométristes, m’ont parlé d’un projet de mission humanitaire à Puerto Escondido, au Mexique », souligne-t-il. En 1999, ce premier voyage des volontaires de Sainte-Croix aura permis d’aider quelque 1 800 villageois à bénéficier d’un examen de la vue et de paires de lunettes. Et désormais, pour Pierre Labine, il était devenu évident qu’il allait consacrer toute son énergie à poursuivre ce type d’aventure humanitaire qui se déroulera non seulement au Mexique mais aussi au Pérou, en Équateur, en Roumanie, au Maroc, au Liban, en Tunisie, au Cameroun et au Sénégal. En 11 ans, plus de 110 000 patients ont pu rencontrer des professionnels de la vue et acquérir des lunettes grâce aux efforts de Pierre Labine et de tous les bénévoles issus d’horizons divers.

L’une des caractéristiques de l’organisation Santa-Cruz réside dans le grand nombre de bénévoles, entre 30 et 40, qui se déplacent au cours d’une même mission : parmi eux, des optométristes, des étudiants en optométrie et des opticiens, mais aussi des personnes en charge des mille et une tâches de soutien logistique. La durée moyenne du séjour est de deux semaines, dont sept journées intensives de clinique, suivies de quelques  journées de repos. Sur place, et notamment au Mexique, la mission est préparée par le Lion’s Club et les DIF mexicains (Développement Intégral de la Famille : équipes multidisciplinaires à orientation sociale). À l’heure actuelle, l’organisation met sur pied entre trois et quatre missions par année dont la majorité à destination de l’Amérique latine.

Des centaines de bénévoles

« Les principales problématiques auxquelles nous sommes confrontés résident dans les négociations avec les douanes, l’envoi de matériel (les montures et les verres) et surtout leur réception! », indique Pierre Labine. De fait, une mission d’une semaine va demander un travail intense d’une centaine de personnes! « C’est difficile à dire combien de milliers d’heures nous consacrons à trier les lunettes, à remplir des valises, à analyser et à assembler les lunettes. », poursuit le père de Sainte-Croix qui reçoit les bénévoles chez lui et aussi dans un entrepôt du centre-ville de Montréal. Outre des bénévoles occasionnels, le noyau « dur » autour de Pierre Labine regroupe quelque 25 personnes qui consacrent de nombreuses heures de bénévolat à la mise en œuvre des missions. C’est donc un travail de longue haleine, patiemment orchestré tout au long de l’année, qui permet à l’organisation de réussir ses projets.

Les étudiants du Québec constituent un réservoir inestimable de bénévoles tout comme ceux de Waterloo en Ontario où Pierre Labine a ses fidèles contributeurs. Chaque coopérant apporte sa valise de montures en plus de celles qui seront acheminées sur place. Au centre de recyclage du Lion’s Club de Calgary, dans un univers carcéral, des prisonniers ont déjà livré plus de trois millions de paires de lunettes (lavées et triées) à différents organismes. « Au Québec, il y a beaucoup de bureaux d’optométristes et d’opticiens qui ramassent des lunettes pour notre organisme et qui nous aident beaucoup », tient à souligner Claude Chagnon.

Des façons de faire efficaces

« Dans le centre de recyclage de Calgary, nous avons eu la chance de pouvoir implanter un système informatique pour analyser les paires de lunettes et produire instantanément une étiquette autocollante descriptive à apposer sur chacun des items », indique Pierre Labine qui a consacré trois ans à l’élaboration informatique de ce logiciel : « Grâce à ce système, je suis capable d’analyser 300 paires de lunettes à l’heure! » Outre le gain de temps, ce système permet d’assurer la qualité de l’analyse et la lisibilité des étiquettes. Autant dire que la persévérance et l’ingéniosité de Pierre Labine ne sont pas étrangères à son succès!

Mais Pierre Labine est également à l’origine d’une façon de faire particulière. En effet, les montures sont toujours identifiées en fonction de la prescription de l’œil droit, lesquelles ne correspondent que très rarement à celle de l’œil gauche du patient. Or, passer à travers un nombre incalculable de montures avant de trouver la paire idéale constitue un véritable casse-tête très chronophage. Il a donc mis sur pied un système qui permet de prélever le verre d’une monture en relation avec la prescription de l’œil gauche et de l’adapter à la monture choisie pour l’œil droit. Il suffisait d’y penser!

Une division de VOSH

En 2006, Pierre Labine a été approché par les responsables de VOSH International[iii], un organisme américain non gouvernemental établi depuis 1971 et dédié à pourvoir les populations déshéritées de services reliés à la vision. L’organisation non religieuse accueille en son sein 32 divisions régionales et 29 divisions d’étudiants aux États-Unis, au Canada, au Honduras, en Inde, etc. VOSH s’est associé à VISION 2020, une initiative mondiale de l’OMS visant à éliminer la cécité évitable d’ici l’an 2020. L’objectif de VOSH est également d’implanter des écoles d’optométrie dans de multiples régions démunies.

« La reconnaissance de VOSH auprès de l’OMS et des Nations unies nous a ouvert des portes, procuré de la crédibilité, des informations privilégiées et nous a donné accès à un bassin encore plus important de professionnels de la vue », explique Pierre Labine. Parce que le nerf de la guerre n’est pas que l’argent et les dons, mais plutôt le dévouement et l’engagement des optométristes bénévoles.

Donner, c’est recevoir

« Quand une dame de 100 ans vient nous voir à la clinique en pleurs parce qu’elle ne voyait pas depuis 85 ans… c’est quelque chose d’émouvant. Donner, c’est tellement recevoir! » s’exclame Pierre Labine en ajoutant le bonheur de pouvoir détecter, grâce aux examens de la vue, des cas médicaux graves.

« Chaque coopérant a son histoire à raconter », ajoute Claude Chagnon qui en est à sa neuvième expérience et qui avoue très franchement sa dépendance aux missions : « Il y a aussi l’amitié qui se tisse entre les différents intervenants, des souvenirs qui nous lient et le partage d’histoires. Ma philosophie de base est qu’il faut redonner à la vie ce qu’elle nous a donné… car dès que l’on voyage, on comprend la chance que l’on a ! »

Numéro de charité vsantacruz.org: 850587064 RM001