Raymond et Côté, opticiens: 20 ans loin des sentiers battus

Raymond et Côté, opticiens
20 ans loin des sentiers battus
Par Isabelle Boin-Serveau

La quarantaine épanouie et les yeux brillants de réussite, le couple d’entrepreneurs très inspirants que constituent Nathalie Raymond et Jean-Pierre Côté n’a rien d’ordinaire. Ni leur vision de la profession, ni la façon dont ils ont bâti ex nihilo un modèle d’affaires…

Car ils s’avèrent de vrais bâtisseurs, créateurs et forcément innovateurs qui, par le jeu subtil d’essais et d’erreurs, ont réussi à fusionner pratique humaniste et rentabilité. Le couple fête ses 20 ans en affaires et, du coup, réalise l’ampleur d’un chemin parcouru… et de celui que l’avenir dessine encore!

La croix des chemins

Nathalie a grandi dans une famille d’entrepreneurs lavallois qui favorise l’estime de soi et la confiance en soi. Un héritage culturel qui lui sert tout au long de son expérience professionnelle. « À l’âge de 20 ans, je n’ai jamais pensé à autre chose qu’à l’opportunité de me lancer en affaires un jour et de devenir  entrepreneure. De  toutes façons, chez moi, c’est LA façon de faire », explique-t-elle avec assurance.

Originaire de Beloeil, Jean-Pierre Côté a vécu aux côtés d’un père représentant qui se déplaçait dans les entreprises pour proposer des produits. « Dans son bureau du sous-sol, il passait beaucoup de temps à prendre des rendez-vous et à faire ses publipostages », dit-il en précisant que son objectif professionnel n’était pas de reproduire ce modèle, mais de relever des défis lui aussi.

À l’heure des choix, après leurs études au cégep en sciences, les deux jeunes adultes doivent essuyer des échecs. Nathalie sera refusée en médecine et Jean-Pierre en optométrie. Mais, déjà taillés pour ne pas faiblir devant les obstacles, ils réorientent leur carrière. Et pour accentuer encore la similitude de leur parcours, leurs parents respectifs les ont guidés vers la profession d’opticien.

« Après une année d’université en biologie, je ne me voyais pas passer ma vie dans un laboratoire sans avoir de contact avec la clientèle. Ma mère m’a conseillée d’aller voir son opticien… », indique Nathalie qui n’a finalement pas rencontré ce professionnel mais plutôt une jeune opticienne fraîchement diplômée, Lise Bédard, qui lui a parlé avec beaucoup d’enthousiasme de son métier.

« Il est normal que nous subissions l’influence de nos parents… Je suis allé rencontrer leur opticien à St-Bruno. J’ai trouvé cet environnement propre, les lunettes étaient belles et il y avait là la possibilité d’échanger avec les gens », décrit Jean-Pierre en insistant sur les caractéristiques de relations humaines, techniques et esthétiques qui ont été décisives dans son choix.

La rencontre à Édouard-Montpetit

C’est donc à Longueuil, à la fin des années 1980, que Nathalie Raymond et Jean-Pierre Côté se rencontrent dans la classe de technique en orthèses visuelles. Tous deux n’ont aucune difficulté à réussir l’apprentissage de la matière. Ils vont se découvrir des points communs et décider de se marier.

Durant ces années-là, Nathalie appréciait particulièrement les stages en entreprise. Elle se souvient plus particulièrement de Mario Bourgault : « Il a été un mentor pour moi. Il avait une réelle vision des affaires. Et nous avions des discussions très enrichissantes. Il m’a  beaucoup appris sur la vente et la qualité du service à la clientèle. »

Jean-Pierre n’a pas trouvé que le programme était très exigeant en termes académiques : « Je craignais d’être diplômé dans quelque chose qui ne m’amènerait pas à me dépasser. » Après avoir travaillé pendant près d’un an dans un bureau d’optique où il apprit beaucoup sur le plan technique, il réalisa qu’il avait besoin de challenge et qu’il devait partir.

« On avait en tête de concrétiser quelque chose ensemble. Jean-Pierre a postué pour être représentant en lentilles cornéennes, mais il n’a pas été retenu. Qu’à cela ne tienne! On s’est dit que quelque chose de mieux allait arriver… », raconte Nathalie qui, elle aussi laissera son emploi pour se lancer dans une affaire qui prenait l’aspect d’une aventure. De fait, c’est son père qui leur suggère de regarder vers un service adapté à une clientèle qui a tout particulièrement besoin de soins visuels : les personnes âgées. Au début des années 1990, le jeune couple visite plusieurs résidences : l’accueil des directions est enthousiaste. Les deux opticiens s’engagent « de façon naïve » dans cette voie.

La création d’un modèle d’affaires

« Notre affaire était réfléchie, mais, en plus, nous avions la foi! », exprime Nathalie qui ne pouvait pas ne pas entendre les commentaires de certains confrères tels que « Vous allez faire du porte à porte pour vendre des lunettes? »

Pour se replacer dans le contexte de 1992, il faut comprendre qu’il y avait peu de résidences pour personnes âgées, que l’on ne se préoccupait pas beaucoup du vieillissement de la population et que la tendance, dans les bureaux d’optique, consistait plutôt à s’intéresser à une clientèle de trentenaires ou de jeunes presbytes.

C’est pourquoi, se préoccuper d’une clientèle du troisième âge ne paraissait  pas une voie royale pour réussir en affaires! Jean-Pierre le concède, malgré leur foi, « nous ne savions pas encore que nous allions connaître autant de succès! Nous n’avions pas de plan d’affaires, mais du cœur au ventre. Nous sentions que cela fonctionnerait malgré des moments de découragement. »

Bien sûr, lorsque l’on ne marche pas sur une route déjà tracée, le travail de création requiert une volonté tenace et des qualités de bâtisseurs. Les deux opticiens sont galvanisés par l’ampleur du défi : « Nous ne sommes pas parfaits, mais nous sommes excellents et très perfectionnistes. Dès que nous avions une critique, nous corrigions le problème immédiatement. Pour trouver une formule adaptée à ce type de service, nous avons utilisé la stratégie des essais… avons eu plus souvent de bons coups que des mauvais… Et nous avons très vite compris que nous avions un trésor entre les mains! »

Au commencement, tout reposait sur leurs deux épaules : la gestion des problèmes, le développement, la représentation, et les services d’optométristes. « On a commencé dans un sous-sol avec trois colocataires », se souvient Nathalie qui mesure le chemin parcouru en 20 ans. « Au fil du temps, Raymond et Côté est réellement devenu une entreprise à part entière », ajoute Jean-Pierre.

Depuis 13 ans, les deux opticiens ont engagé du personnel de façon graduelle. Pour desservir la clientèle des 120 établissements (visités tous les trois à six mois) de la métropole et de ses environs, ils peuvent compter sur trois autres opticiens, trois optométristes réguliers, deux optométristes de remplacement, une coordonnatrice à temps plein sur la route et deux employées de bureau. « L’administration de notre modèle est très onéreuse parce que les ententes de services exigent beaucoup de paperasse et que les gestions de déplacements demandent du personnel très compétent. »

Les valeurs d’entreprise

« Nos plus gros découragements auront été engendrés par le recrutement de personnel… », relate Nathalie. Tout d’abord parce que les optométristes ne comprenaient pas, a priori, que la clinique mobile possédait  les équipements ad hoc pour proposer des examens de la vue complet. Et ensuite, parce que toutes les personnalités ne sont pas adaptées pour servir les personnes âgées. «Il faut vraiment les aimer et avoir un petit profil missionnaire. Mais travailler avec son cœur c’est très enrichissant et valorisant! » souligne l’opticienne qui ajoute que Raymond et Côté ne pourrait travailler avec des gens qui ne partagent pas les mêmes valeurs.

Rien d’innovateur et de précieux ne peut se construire sans une base entrepreneuriale à partager. Dans le cas de Nathalie et Jean-Pierre, les gens qui évoluent dans leur entreprise ont, avant tout, le souci du service et une facilité à s’intégrer dans un emploi qui s’éloigne de la routine. Ils sont d’ailleurs tellement fiers de pouvoir aujourd’hui compter sur une équipe hors pair : « Elle s’est enrichie dernièrement de deux nouveaux opticiens de qualité qui ont de belles expériences. Et nos collaborateurs sont vraiment les meilleurs! »

Ceux qui ont bâti ce modèle d’affaires avec un instinct avisé et lucide ont aussi fondé une famille composée de trois jeunes adolescents élevés au sein de l’entreprise même. En effet, c’est dans le sous-sol de leur domicile de Blainville que les bureaux de Raymond et Côté sont situés. Un sous-sol qui n’a rien à voir avec celui d’un travailleur autonome ordinaire et qui laisse deviner tout le succès de leur entreprise.

Idéalistes, créateurs, innovateurs, véritables entrepreneurs, les deux opticiens ont encore de nombreux défis à relever. La pérennité de l’entreprise. Son expansion éventuelle. Bref, des situations où ils n’auront aucun mal à oser de nouveau…