Mieux comprendre l’acte d’achat du consommateur

Ce pourrait-il que nous soyons à une époque où les motivations qui mènent à l’acte de consommer ne sont plus aussi faciles à définir ? Traversons-nous une phase de transition menant vers des modes de consommation de plus en plus diversifiés tant sur le plan des canaux de distribution que sur celui des comportements client ? Quels sont ses nouveaux parcours qui le mènent vers le désir de consommer ?

Nous assistons actuellement à la présence de différentes stratégies de consommation qui peuvent paraître radicalement différentes. Le déclin des médias traditionnels s’est heurté de plein fouet avec le numérique.  Il y a la stratégie marquée par la distance, le minimum d’interaction forte avec le commerçant : l’achat en ligne. Et celle marquée par la recherche enthousiaste d’un nouveau désir de consommer, d’une implication, d’une vraie curiosité avec la demande d’être surpris. Les deux stratégies de consommation cohabitent pourtant chez le même consommateur. Une segmentation du comportement d’achat qui complexifie la compréhension de l’acte d’achat.

Pour mieux comprendre le comportement du consommateur, nous avons discuté de celui-ci avec Francine Rodier, professeure au département de marketing à L’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal et chercheuse associée à l’Observatoire ESG UQAM en consommation responsable.

Comment définir le consommateur québécois actuel ?

La façon de voir les choses du consommateur québécois a changé. Aujourd’hui, la personne qui utilise des biens ou des services pour satisfaire ses besoins suivra un parcours différent de celui qu’elle suivait historiquement. Dans les années 80, l’expérience client se déroulait principalement en magasin. À cette époque, le consommateur se rendait chez le commerçant pour obtenir de l’information sur un produit. Au fil de l’informatisation, le marketing multicanal s’est développé et la façon d’acheter s’est transformée.

« Actuellement, les entreprises québécoises ne se sont pas toutes parfaitement adaptées aux nouvelles façons de chercher de l’information et d’acheter des consommateurs. On observe notamment que les jeunes consommateurs vont se mouvoir avec fluidité entre les mondes virtuels et physiques, alors que d’autres groupes n’auront pas ce réflexe. Qui est notre client ? Il faut former des groupes de consommateurs en fonction de leur façon de chercher de l’information et d’acheter notre produit et nos services.

Selon les produits ou services, on peut croire que le prix ou le sacrifice pécuniaire est le seul critère de décision des consommateurs d’aujourd’hui, mais ce n’est pas le cas. En fait, quatre principaux groupes de consommateurs sont observés, soit ceux qui évaluent le produit ou service en fonction de son prix, du rapport qualité/prix, des bénéfices recherchés et de la valeur totale. Bien que le groupe des consommateurs qui cherchent le meilleur prix puisse être dominant, d’autres vont plutôt choisir leur produit en tenant compte du rapport entre la qualité et le prix. Ils tenteront de maximiser la qualité qu’ils peuvent se procurer en respectant un budget spécifique. Quant aux membres du troisième groupe, ils cherchent des bénéfices supplémentaires comme des bénéfices symboliques (afficher un statut particulier), qui relèvent de l’hédonisme (se faire plaisir), des raisons éthiques (consommer de façon responsable), etc. Ils cherchent donc un marchand capable de leur offrir les avantages recherchés sans axer leur décision sur le prix comme critère dominant. Pour son achat, la quatrième catégorie de consommateurs évalue, pour sa part, tous les sacrifices pécuniaires et non pécuniaires (déplacement, temps, risques de toutes sortes, etc.) à faire pour se procurer le produit.

Dans chacun de ces groupes, les consommateurs exigent un parcours souple et adapté à eux. On ne vend donc pas à tout le monde de la même manière. Le principal enjeu repose sur le fait que les entreprises ne se sont pas toutes parfaitement adaptées à ces nouveaux comportements des consommateurs. Il faut comprendre en profondeur le parcours virtuel et physique des clients ciblés et être bien présent sur la route qu’ils empruntent avant l’achat, durant l’utilisation du produit ou du service et également après l’achat. C’est avec cette logique que le marchand doit choisir ses points de contact avec le consommateur, tant dans les canaux utilisés pour les joindre et qu’en matière  d’intensité à déployer pour établir une communication efficace. Tout doit être en place pour procurer aux clients ciblés une démarche en toute souplesse et des plus agréable pour donner le goût d’acheter dans notre commerce. »

Qu’est-ce qui provoque l’envie irrépressible de se procurer un bien de consommation ? Est-ce qu’il y a matière de parler d’impulsivité dans l’acte d’achat ?

« On croit souvent, et à tort que le marketing peut créer des besoins. C’est faux ! En réalité, un client a des besoins fondamentaux auxquels il tente de répondre le plus facilement possible. Ce sont les désirs qui varient à travers les groupes de consommateurs. Un consommateur aura ainsi recours aux services d’un optométriste et d’un opticien pour résoudre son besoin fondamental, soit son problème de vision. Il retiendra toutefois les services du marchand qui présente le meilleur potentiel pour répondre à son besoin et à ses désirs, selon son offre de produits et de services. Ultimement, ce client choisira donc le marchand qui assure une présence de qualité sur son parcours d’achat en ligne et hors ligne. »

Pouvez-vous nous parler de l’importance de la part du marchand de stimuler le désir afin que le consommateur passe à l’acte d’achat ?

« Le parcours du client est basé sur une segmentation du marché en différents groupes d’individus. Il faut les identifier. Par la suite, on les représente par un personnage imaginaire que l’on nomme un persona. Il s’agit d’une personne fictive qui représente le groupe de client que l’on veut desservir. Toute la mise en scène du produit ou son branding, va graviter autour de ce persona qui représente le client type. Un marchand peut y avoir plusieurs persona. La stratégie de marketing ne sera pas la même pour répondre à chaque groupe. En effet, on ne sert pas un enfant de cinq ans comme on sert une personne plus âgée en lunetterie. On ne sert pas les personnes qui cherchent le plus bas prix de la même manière que celles qui cherchent une grande marque ou des bénéfices particuliers non plus. Il faut adapter sa stratégie de marketing en conséquence des groupes qu’on souhaite desservir. Il faut aussi savoir que tous les commerces ne sont pas adaptés à tous les persona. De gré ou de force, certains se spécialiseront pour certains types de clientèle. Ainsi, les points de contact et la communication du personnel seront orientés en fonction de cette approche visant à faciliter le lien entre le consommateur et notre offre de produits et de services. »

Ainsi, la magie des créateurs lunetiers, des griffes et des verriers, le dynamisme publicitaire des enseignes, sans oublier la popularité des secteurs « soin de soi » et « styles de vie » ont su accomplir ce prodige : aujourd’hui, le secteur de la lunetterie offre des articles qui suggèrent l’élégance, l’affirmation et le bien-être et sont parvenu à stimuler le désir.

Le multicanal pour promouvoir et permettre l’acte d’achat est-ce là une mode passagère ou une tendance de fond ?

« Je crois qu’il s’agit d’une tendance de fond à cause des parcours des clients. Les consommateurs font leur recherche sur Internet et les réseaux sociaux, mais n’achètent pas nécessairement tout en ligne. Plusieurs préfèreront se rendre en boutique pour compléter leur processus d’achat. C’est une erreur de croire qu’il doit y avoir uniquement des boutiques physiques ou uniquement des boutiques en ligne. On ne peut toutefois pas ignorer que la croissance de plusieurs entreprises se fait grâce à leur présence en ligne. Il faut que les marchands assurent une présence de qualité sur le Web. Il faut aussi se rappeler qu’il y a des groupes de clients que l’on ne peut pas servir, car notre entreprise n’est pas orientée en fonction d’eux. C’est notamment le cas d’un client qui vise sur une fourchette de prix qui ne procure pas de marge ou qui exige un modèle ou une marque que l’on ne tient pas. Il faut étudier nos clients actuels, combler leurs désirs et aller en chercher d’autres qui leur ressemblent. Il faut déterminer si ces clients potentiels se trouvent chez un compétiteur ou dans des zones inexplorées jusqu’ici. Il y a fort à parier que les points de contact de l’entreprise devront d’abord être harmonisés en fonction des clients actuels pour en atteindre des semblables. Une approche multicanale que le marchand devra explorer. »

On ne peut pas acheter que sur Internet ?

Il faut jauger la valeur de la présence physique des boutiques. C’est le service, cette personnalisation, c’est cette garantie-là que le client cherche. On oppose toujours la qualité et le niveau de risque. Alors, oui vous ne payerez pas cher, mais vous accepterez aussi qu’il soit possible que les lunettes que vous achèterez en ligne ne soient pas parfaitement ajustées à votre vision. Lorsque le client se déplace en boutique et paye plus cher, c’est qu’il obtient le service personnalisé. Le marchand doit se poser la question : quelle est la valeur ajoutée que j’offre à ma clientèle ? Il faut que ce soit parfait. Il faut donc qu’à chaque point de contact le client obtienne toujours cette qualité de service. Il ne faut pas qu’au dernier maillon le service soit misérable. Avoir un site Internet est très important, car il est la vitrine du commerce. Il permet de voir les modèles en boutique et les services offerts.

En étant en boutique, de belles surprises peuvent se présenter au client qui s’achètera peut-être des lunettes de soleil. Puis les infolettres permettent de maintenir le contact et de faire des offres en ligne, des rabais. Une façon de procéder qui peut être très agréable.

Comment mieux définir les stratégies pour stimuler l’acte d’achat ?

N’importe quelles stratégies s’appuient sur les objectifs que l’entreprise se fixe. Des objectifs quantifiables (SMART), fixés dans le temps et qui s’adressent à des clientèles particulières. Est-ce que le marchand veut se faire connaître, se faire aimer auprès de cette clientèle ou provoquer un comportement d’achat immédiat ? Il faut différencier les objectifs de notoriété (connaissance), des objectifs affectifs (se faire aimer), et de ceux qui tentent de provoquer un comportement d’achat à court terme (faire acheter). Ce ne seront pas les mêmes stratégies qui seront à développer. Le marchand doit se poser la question sur ce qu’il doit faire pour résoudre ses problèmes particuliers au cours de l’année à venir.

Tendances du marketing ?

« Le commerce physique doit miser sur la proximité qu’elle soit en ligne ou de quartier. En ligne, le rayon d’action est plus vaste et la concurrence aussi. L’important, c’est qu’il faut que l’expérience soit différenciée. Que peut offrir de plus un marchand face à la concurrence ? C’est vraiment la différenciation qui marquera des points. Ce qui est le plus difficile à imiter c’est le cinquième « P » du marketing, soit les « personnes ». En effet, ce sont les contacts personnels ou personnalisés qui composent un service à la clientèle exceptionnel à la boutique et en ligne. Voilà un aspect singulier offert par le marchand et qui demeure très difficile à imiter par un concurrent. Le service à la clientèle, l’accueil, les bons conseils pour acquérir un produit tangible (la lunette) bien adapté. Un service harmonisé avec qui on est comme marchand et la clientèle qu’on cible. Cet accompagnement doit être impeccable avant, pendant et après la vente. »

L’importance du facteur humain

Si les quatre piliers historiques du mix marketing définissent le périmètre de la relation marque-consommateur, la personnalisation du service définit le lien personnel unissant la marque, l’entreprise et son client. Un lien multidirectionnel, un échange impliquant le consommateur et le marchand dans une relation personnelle et participative.

Redonner l’envie du « vouloir acheter » passe aussi par l’aptitude du client à connaître le coût complet de son investissement. Si le commerçant parvient à fournir des preuves tangibles au client « qu’un peu plus cher, c’est vraiment mieux » pour la qualité de sa perception visuelle et pour son existence quotidienne.

La pierre angulaire de la fidélisation des consommateurs demeure un service à la clientèle exceptionnel. En effet, la présence d’opticiens compétents humainement (accueil, accompagnement, suivi) et compétents techniquement forme un équilibre somme toute possible entre le magasin réel et le magasin virtuel.

Par Lorraine Boutin