L’autre usage des lunettes

Par Isabelle Boin-Serveau

On a pu croiser Paul Morlet dans les couloirs de Vision Expo à New York en mars dernier. Le jeune Français de 22 ans, qui n’a pas froid aux yeux, passe encore incognito. Jusqu’à quand? Car son appétit est immense et sa conquête des États-Unis commence par la présence dans la Grande Pomme d’une équipe qui aura la charge de produire en temps record des lunettes pas comme les autres : les Lulu Frenchie.

Tout a commencé à la fin de l’été 2010, alors que Paul Morlet tuait le temps en regardant une émission de poker à la télévision. Sa martingale? Les verres de lunettes des joueurs sur lesquelles son esprit s’est mis à flâner. Résultat de son remue-méninges solitaire: pourquoi ne pas créer un espace promotionnel car « la pub était partout sauf là! »?

Les dés étaient lancés

« En fait, je n’avais pas beaucoup de perspectives professionnelles à l’époque », avoue-t-il. Il joue donc le tout pour le tout et englouti « sur un coup de tête » son pécule de 3 000 euros pour commencer une phase de recherche afin de mettre au point la technique des lunettes promotionnelles. Il fallait y penser… et oser. Deux associés vont composer la main gagnante.

Débute ainsi une phase d’édification d’une petite entreprise qu’il qualifie de « galère » même si elle s’est avérée rentable en 5 mois. Il fallait mettre au point un procédé, applicable sur des verres transparents ou solaires. L’image est reproduite à l’aide d’un traceur qui imprime la pellicule percée de petits trous afin de ne pas gêner la vision. Voilà pour les ficelles, mais comment réaliser près d’un million d’euros de chiffres d’affaires en 2012 moins de deux ans après la création de la compagnie et écouler à l’exportation la moitié des 500 000 paires vendues?

Le buzz, carte maîtresse

Pour se faire connaître et créer le buzz médiatique indispensable au positionnement marketing, le jeune homme a fait jouer ses contacts bien placés auprès des stars mondiales avec notamment Lady Gaga, David Guetta, Black Eyed Peas, Snoop Dog, qui se sont prêtés au jeu : « Ils ont tout de suite embarqué et ont trouvé ça sympa. Du coup, nos lunettes ont bénéficié d’un côté “invasion” auprès des fans… Et pour nous, cela représentait un placement média à moindre frais! »

Avec les meilleurs tarifs, les plus grands choix, les meilleurs délais de livraison… Lulu Frenchie occupe 95 % du marché des lunettes promotionnelles. Quand il a commencé il y a deux ans, une trentaine de petites entreprises proposaient ce type de produit. Paul Morlet sait qu’il ne faut pas se laisser distancer et aujourd’hui, ils ne sont plus deux à œuvrer sur les mêmes plate bandes.

« On se regarde de loin », concède Paul Morlet en ce qui concerne ses relations avec le monde de l’optique français. Mais ce n’est pas pour cette raison que Lulu Frenchie fait venir ses montures de Chine : « Plus personne ne fabrique de montures par injection aujourd’hui… alors, je n’ai pas eu le choix d’autant plus que le moins cher que j’ai trouvé en France s’élèvait à 12 euros alors que mon prix de vente est de 2 euros hors taxes. En plus, les délais de fabrication made in China sont moins longs… »

Son succès procède de l’accès facile au produit (livraisons en 24 h, même pour New York) et de son bas prix (même pour un ou deux exemplaires). Monsieur et madame Tout-le-monde peuvent ainsi s’emparer d’un outil d’auto promotion abordable… et l’on sait qu’aujourd’hui, chacun tend à obtenir son moment de gloire.

Après avoir phagocyté le marché français, Paul Morlet lorgne non seulement le continent américain mais plus loin encore: « Sûrement l’Australie… et puis l’Afrique du Sud… je ne sais pas encore! » Est-ce que le concept des Lulu Frenchie survivra au temps qui passe? Paul Morlet ne le sait pas, mais déjà il concocte de nouveaux produits dans la même veine parce que la gloire peut être éphémère et que la concurrence peut se réveiller en force. « Quelque chose de pas très cher, personnalisable, amusant et facile à avoir »… et voilà une recette du succès à reproduire! Et puis, le jeune homme a, parallèlement à sa soif de réussir, de nobles objectifs : aider les jeunes décrocheurs scolaires et les prisonniers en réinsertion.