Le problème de la non-conformité

Par Shirley Ha, BSc. (Hons), O.D.
Traduction d’Edward Collister

Malgré une plus prise de conscience accrue des risques d’infections de l’œil dues aux procédures inappropriées d’entretien et de port des lentilles cornéennes, de nombreux consommateurs ne suivent toujours pas les recommandations relatives aux pratiques sécuritaires, émises par les fabricants ou les professionnels de la vue.

Une enquête de la University of Texas, réalisée auprès de 433 porteurs de lentilles cornéennes, a révélé que plus de 50 pour cent des participants pouvaient identifier les complications liées au port de lentilles cornéennes. Par contre, au niveau de l’application des pratiques sécuritaires, seulement 2 pour cent d’entre eux s’y conformaient « bien » alors qu’un seul les suivait « entièrement ». Par ailleurs, 85 pour cent des participants croyaient avoir des habitudes adéquates en ce qui a trait à la manipulation des lentilles et des étuis ainsi qu’à l’utilisation des solutions.[i]

Les comportements non-conformes identifiés sont :

  • La pratique de la natation (64 pour cent) et un contact avec l’eau du robinet, incluant la douche (57 pour cent), lors du port des lentilles;
  • Le port, pendant le sommeil, de lentilles non conçues pour un port continu (56 pour cent);
  • Le non-respect du temps de port recommandé (52 pour cent);
  • Le maniement de lentilles sans s’être lavé les mains au préalable (49 pour cent);
  • Le non-renouvellement de l’étui pour lentilles ou son remplacement uniquement si un nouveau est offert (47 pour cent);
  • L’ajout (42 pour cent) ou la réutilisation de solutions désinfectantes (28 pour cent).

Fait intéressant à noter : au niveau des complications, le « confort et la manipulation » sont davantage cités que les infections. Et, bien que 90 pour cent des participants de l’étude connaissaient l’importance de l’utilisation de solutions désinfectantes fraîches, plusieurs ne jetait pas une fois utilisée.

Une autre étude a démontré que 20 pour cent des patients interrogés au Royaume-Uni ont admis avoir utilisé l’eau du robinet, de la salive, de l’huile pour bébé, de la bière, du coca-cola, de la gelée de pétrole, de la limonade, du jus de fruit et du beurre (!) comme alternative aux solutions de nettoyage pour lentilles (source : communiqué de Bausch + Lomb, novembre 2011).

Ces dernières années, plusieurs rapports de recherches parrainés par l’industrie ont examiné la conformité aux bonnes pratiques relatives aux solutions d’entretien, aux modalités du port et aux lubrifiants pour les yeux.[ii] Cependant, le déploiement de systèmes de désinfectants plus sécuritaires, plus efficaces et plus faciles à utiliser, jumelé au développement de lentilles perméables aux gaz plus confortables, peuvent laisser croire qu’il est « sécuritaire » d’étirer le temps de port au-delà de la période suggérée ou de dormir avec des lentilles plus longtemps que recommandé.

Ces données contrastent avec celles d’une enquête réalisée par Contact Lens Spectrum auprès d’environ 350 professionnels de la vue, pour le compte du Annual Contact Lens Report de 2011. Les répondants étaient d’avis que 75 pour cent de leurs patients se lavaient les mains avant de manipuler leurs lentilles. De plus, 60 pour cent des personnes nettoyaient leurs lentilles selon les recommandations et 64 pour cent les rinçaient selon les pratiques reconnues. Ces professionnels sont d’avis que 70 pour cent de leurs patients se conformaient aux directives concernant l’hygiène des lentilles cornéennes.[iii]

Donc, comment expliquer l’écart entre la perception des professionnels de la vue et les pratiques des patients? Est-ce que les patients leur mentent à propos de leurs habitudes d’hygiène concernant les lentilles et l’utilisation de solutions désinfectantes?

Le meilleur moyen pour encourager la conformité consiste à utiliser des outils de formation tant verbaux que visuels, et ainsi informer les consommateurs sur l’hygiène personnelle ou la propreté des mains ainsi que sur le temps du port des lentilles et leur remplacement.[iv] [v] De plus, il faut discuter de la désinfection des lentilles et des étuis ainsi que des complications cornéennes qui peuvent résulter de pratiques non conformes aux recommandations. Toutefois, une majorité importante de patients n’y adhèrent toujours pas, et ce malgré une connaissance des risques inhérents.[vi] 

Dr. Gary Gerber, un optométriste-expert du New Jersey et président-fondateur de Power Practice®, est d’avis que certains aspects de l’éducation à fournir au patient ne sont pas conçus pour améliorer la conformité. « Nous savons qu’une affiche montrant une cornée ulcérée ou un œil rouge ne produit pas le résultat recherché. On doit plutôt mettre l’accent sur les avantages (liberté, confiance en soi) qu’ils retirent en portant leurs lentilles cornéennes et leur rappeler ce qu’ils perdraient s’ils les délaissaient. Autrement dit, il faut miser davantage sur la perte des bénéfices plutôt que sur les caractéristiques des lentilles. »

Il incombe aux professionnels de la vue d’informer, d’éduquer et de former les patients afin d’augmenter leurs connaissances des risques associés au port de lentilles cornéennes. Les rendez-vous de suivi sont tout aussi importants pour vérifier s’ils se conforment aux recommandations relatives au port et au temps de remplacement, ainsi qu’aux directives associées aux solutions et à l’entretien des étuis.

L’utilisation d’une série de questions standardisées pour détecter des comportements non conformes et le retour sur les conseils professionnels lors de chaque visite de suivi peuvent aider les professionnels de la vue à augmenter le taux de conformité et renforcer les bonnes pratiques à l’égard de l’entretien et de la manipulation des lentilles. Par contre, il faut être attentif aux types de questions posées, puisqu’elles peuvent donner lieu à de fausses réponses de la part des patients, surtout de la part de ceux qui ne veulent pas admettre qu’ils ont des pratiques non conformes. Par exemple, demandez aux patients comment ils se sentent le matin après avoir dormi avec leurs lentilles.

Ce n’est pas tous les problèmes associés aux lentilles qui sont le résultat d’une conformité inadéquate et il n’y a pas de solution miracle pour régler cette situation. Le problème ne disparaîtra pas de sitôt. Mais les professionnels de la vue peuvent tracer un parcours plus sécuritaire et sain vers une santé visuelle propre, claire et confortable pour tous les patients portant des lentilles cornéennes en suivant certaines consignes. L’identification des différents types de comportements non conformes, une information et une éducation appropriées, de bonnes questions lors des rendez-vous de suivi et un message cohérent concernant l’engagement aux bonnes pratiques d’utilisation des produits et de l’entretien des étuis font partie des pistes de solution.


[i] ROBERTSON, DM, CAVANAGH, HD. Non-Compliance with Contact Lens Wear and Care Practices: a Comparative Analysis,  Optometry & Vision Science, décembre 2011, volume 88, pp1402-1408

[ii] GROMACKI, SJ. Research From the 2011 AAO Annual Meeting, Contact Lens Spectrum, décembre 2011

[iii] NICHOLS, JJ. Contact Lenses 2011, Contact Lens Spectrum, janvier 2012

[iv] HICKSON-CURRAN, SB. Compliance Before, During and After Contact Lens Wear, Contact Lens Spectrum, janvier 2012

[v] BENOIT, DP. Compliance and Contact Lenses, Contact Lens Spectrum, mai 2011

[vi] BUI, TH, CAVANAGH, HD, ROBERTSON, DM. Patient Compliance During Contact Lens Wear: Perceptions, Awareness, and Behavior., Eye & Contact Lens, novembre  2010, volume 36, issue 6