Diane Matteau : une énergie contagieuse!

Par Isabelle Boin-Serveau

Si vous ne connaissez pas Diane Matteau, c’est que vous n’habitez pas le Plateau montréalais, car là-bas, l’opticienne est en passe de devenir une véritable légende. Au-delà de son quart de siècle d’expérience entrepreneuriale durant lequel elle aura tissé une renommée fondée sur ses compétences, la quinquagénaire est aussi reconnue pour son franc-parler et pour son énergie joviale à servir une clientèle qui demeure attachée à la valeur de ses conseils. Très loin des saveurs aseptisées, Diane Matteau cultive un style unique qui met pleinement en évidence l’authenticité d’un tempérament haut en couleur.

Native de Montréal, Diane Matteau avoue avoir hérité de l’esprit d’entreprise de sa mère originaire de Gaspésie : « Elle nous disait toujours que tout se vend! » Pourtant, la jeune Diane rêve depuis son plus lointain souvenir de devenir vétérinaire. Sa carrière va s’interrompre de façon inopinée.

Sur un air d’Elton John!
« En fait, j’ai suivi le cours d’optique à cause de Diane Pilotte[1]! », explique-t-elle. Un jour, alors que cette dernière assiste à un cours commun au collège Édouard-Montpetit, Diane Matteau se met à chanter un air d’Elton John « que j’avais entendu le matin à la radio. Diane a tapoté mon épaule en me demandant si j’avais écouté cette chanson-là à CHOM. C’est comme cela que nous avons fait connaissance et que j’ai appris qu’elle prenait des cours d’opticienne. Je ne savais même pas ce que c’était et pourtant je porte des lunettes depuis toujours puisque je présente un léger strabisme » À la même période, l’orienteur du collège lui indique que les places disponibles pour la profession de vétérinaire sont contingentées. Diane Matteau opère alors un virage à 360 degrés et rejoint la classe de Diane Pilotte.

En 1977, diplôme en poche, Diane Matteau commence son apprentissage dans le Cavendish Mall chez Meldom, Morris et Buttler : «Je n’y suis pas restée plus d’un mois et demi! En fait, ce n’était pas mon monde » Pourtant, Diane Matteau maîtrise parfaitement la langue de Shakespeare puisqu’elle a bénéficié d’une immersion british en sol écossais, à Édimbourg, durant les six semaines des étés de sa jeune adolescence.

Après son expérience dans l’ouest de Montréal, Diane Matteau rejoint l’opticien Normand Chevrier[2] qui a pignon sur la rue Cherrier mais qui ne pourra conserver ses services en raison d’une baisse d’achalandage. L’opticienne intègre alors la compagnie de Walter Barrel à Pointe-Claire où elle restera dix ans. Entre temps, de son union avec « mon chum de cégep », naît un garçon pour lequel elle prendra une année sabbatique. Cette année-là, outre les moments consacrés à « jouer à la maman », elle aura tout le temps de clarifier et de monter un projet qui lui tient particulièrement à cœur : ouvrir son propre bureau.

Ouverture sur le Plateau
En 1986, Diane Matteau envisage dans un premier temps de chercher un local dans le Mile End. Lorsqu’elle frappe à la porte de Normand Chevrier, elle est simplement à la recherche d’instruments et ignore tout des intentions de retraite de l’opticien âgé de 70 ans qui lui propose illico d’acheter son bureau : « Je ne m’attendais pas du tout à ça et j’ai dit oui! » À 30 ans, le rêve de Diane Matteau se réalise malgré les difficultés auxquelles elle devra faire face pour obtenir du financement : « J’ai magasiné toutes les banques avec un plan d’affaires bien ficelé. Ils voulaient tous que mon mari endosse mon prêt et il n’en était pas question! » Finalement, la Banque Royale est l’institution qui donnera vie à son aspiration.

Durant les premiers mois assez difficiles, Diane Matteau déploie toute son énergie à convaincre les bureaux d’ophtalmologistes qu’elle est « la meilleure ». Une audace qui est toujours aussi payante puisqu’elle travaille beaucoup avec l’hôpital Notre-Dame (aujourd’hui, un des trois hôpitaux du CHUM) qui lui envoie des cas particuliers : « En fait, je fais de la basse vision depuis 25 ans! Ce qu’il faut faire, c’est trouver ce qui ne marche pas. Il faut écouter ces patients-là en se situant bien au-delà de la technique. Regarder, prendre son temps. Il faut respecter les gens et comprendre que tous les cas sont uniques. Il ne s’agit pas juste de vendre! »

Pendant les trois premières années, Diane Matteau se prive de salaire et investit tous ses gains dans l’achat de montures exclusives et dans la rénovation du bureau. Des investissements judicieux qu’elle avoue avoir pu réaliser grâce au soutien financier de son mari, facteur de profession. « Ce que je privilégie avec mes clients c’est d’ouvrir leurs horizons et de leur proposer des montures qu’ils n’auraient pas spontanément le goût de porter », souligne l’opticienne qui court toujours les salons d’optique à la recherche de nouvelles lignes. « Mais ma réussite vient aussi de mon mari! C’est en couple que je parcours les différents salons d’optique à travers le monde et c’est encore avec lui que je choisis les montures qui se retrouvent dans mon bureau. Pour négocier, en couple, ça va mieux! J’ai même déjà amené mes enfants dans les salons! », raconte Diane Matteau qui regrette d’un même souffle que les opticiens indépendants n’aient pas été plus solidaires entre eux à une certaine époque pour se regrouper et partager leurs importations.

Les choses changent
Depuis 2002, Diane Matteau doit requérir les services d’un optométriste dans son bureau et elle avoue sans ambages que cette dépendance est très pesante : « Il faudrait que les optométristes et les opticiens travaillent ensemble. Pourquoi ne pourrait-on pas proposer aux optométristes un temps de chaise? » Pour l’opticienne, le respect mutuel des deux professions conditionne l’avenir.

Et justement, pour l’avenir, Diane Matteau déplore « qu’il y ait seulement deux jeunes étudiants sur trente qui veulent se lancer en affaires! » Elle adore pourtant assurer le rôle de maître de stage et transmettre aux plus jeunes sa passion d’une profession exercée comme un art. Si la quinquagénaire caresse le rêve d’une relève, elle demeure consciente des difficultés pour trouver aujourd’hui un remplaçant ou une remplaçante : « J’aimerais travailler encore 10 ou 15 ans de plus… » Cependant, le coût du loyer et les normes patrimoniales instaurées sur le Plateau qui réduisent son espace de vitrine laissent planer la perspective d’un déménagement prochain. Mais dans cet avenir incertain demeure cependant une certitude : « J’aimerais tant que figure pour toujours sur l’enseigne de mon bureau le nom de Diane Matteau! » Et qui sait? Un représentant de la génération montante exaucera peut-être ce vœu-là…



[1] Nos lecteurs peuvent lire la Rencontre avec l’opticienne Diane Pilotte qui a paru dans LaRevue de janvier-février 2011.

[2] Décédé en 2007, Normand Chevrier a été un des membres fondateurs et président de l’Association des opticiens du Québec. Il a occupé la fonction de syndic et de président du Comité d’inspection professionnelle à l’Ordre durant plusieurs années. Il s’est aussi impliqué dans de nombreuses causes humanitaires dont celles des jeunes du Patro Le Prévost et des œuvres du Cardinal Léger.